Corinne MARIAUD interroge les stéréotypes de genre
Photographe française, Corinne Mariaud présente 3 de ses séries actuellement à la galerie, dans le cadre de l’exposition collective « Focus Photo ». Ses séries photographiques évoquent, à travers la figure du corps, la quête d'identité, la lutte de l'individu pour préserver sa singularité dans un monde standardisé. Son œuvre interroge l'image de la femme et sa place dans la société contemporaine, le diktat sur l’apparence, les stéréotypes sur le féminin et le masculin.
par Isabelle Fabre Chabrat, Novembre 2024
Dans votre travail il y a d’abord la recherche de l’esthétique, puis c’est le sens que vous donnez à vos photos qui apparaît, est ce important pour vous?
L’idée c’est que l’on voit d’abord une belle image, et qu’après on sente quelque chose qui dérange, qui perturbe, parce que j’aime bien que mes images aient du sens, et c’est un peu caché derrière une apparence très lisse.
Vous avez été photographe dans le milieu de la mode, comment cela vous a-t-il influencé ?
Je travaillais avec les mannequins, donc j’ai entendu et écouté leurs histoires : confrontation au sexisme, au harcèlement etc… Quand j’ai commencé mes séries interrogeant l’identité féminine et les stéréotypes de genre, j’ai demandé à ces modèles de poser pour moi. Dans ces séries, je voulais en effet des jeunes filles à la beauté très plastique : pour les « Trophées » l’idée est que la femme devient elle-même le tableau accroché au mur.
Justement pouvez-vous nous expliquer ce que sont ces « Trophées »?
Techniquement, j’avais fait un trou dans une planche par lequel les modèles devaient mettre leur tête, donc déjà la situation était un peu violente et inconfortable. L’idée c’est que la femme est prisonnière de son image, cela questionne aussi les stéréotypes sur le féminin, le « soit belle et tais toi », que la femme doit être discrète également. Là elle est figée, hors d’état de nuire, comme un trophée de chasse. Et sur les trophées de chasse ce sont souvent des biches, toujours très beau, mais en réalité hyper violent, car c’est une tête coupée. Dans cette série, la femme devient l’objet accroché au mur, elle est prisonnière de son image, victime des stéréotypes.
Vous considérez vous comme féministe ?
Oui en tant que femme je me suis toujours considérée comme féministe, toujours sentie révoltée par tout ce que subissent les femmes. Comme je m’entendais très bien avec les mannequins -elles étaient très en confiance car j’étais une femme, souvent elles me confiaient toutes leurs histoires.
Et pour la série « I try so hard », qu’y a-t-il derrière le sourire de ces jeunes filles ?
J’ai commencé par faire des vidéos, j’ai demandé à des jeunes femmes de sourire et de tenir leur sourire pendant plus de 2 minutes. Le sourire c’est quelque chose de simple et spontané, mais lorsqu’il est imposé pendant 2 minutes cela devient comme une violence, comme si je devenais le bourreau qui les oblige à tenir leur sourire… donc leur visage se crispe, les yeux deviennent rouges, les larmes arrivent, la bouche tremble parfois… On demande toujours à la femme d’être belle, souriante, « belle comme une image », et je voulais montrer toute la violence qu’il y a derrière ces injonctions.
La série des « Flower Beauty Boys » a été réalisée pendant votre séjour en Asie ?
Oui…En Corée les garçons se maquillent, font des injections d’acide hyaluronique, de botox, on les appelle les Flower Boys. Je trouvais que chez ces garçons c’est beaucoup plus transgressif car c’est une société très patriarchale : des garçons qui se maquillent cela remet en question toutes les injonctions sur le Masculin. D’ailleurs ils se déclarent souvent « genderless » , c’est à dire « sans genre » .
C’est une réflexion sur les nouvelles masculinités, toutes mes réflexions sur le féminin m’ont amenée aussi à cela.